ASSOCIATION DES CONSEILLERS PÉDAGOGIQUES EN EPS DES BOUCHES DU RHÔNE

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Les règles d'action : un support pour les apprentissages

J-F. GREHAIGNE
EPS N° 260 - JUILLET-AOUT 1996

La réflexion en didactique de l'éducation physique et sportive sur les notions de principe et de règle est un enjeu important pour la construction d'un corps de connaissances dans notre discipline. Dans cet article, nous envisageons de revenir sur un certain nombre de caractéristiques et de problèmes soulevés par la notion de règle de l'action efficace en vue de compléter et de poursuivre un débat déjà bien engagé (Cf. références bibliographiques).

La règle de l'action efficace, couramment appelée règle d'action, constitue une notion intéressante dans les apprentissages et peut servir d'outil théorique pour l'élaboration d'un programme. Comme elle a fait l'objet de moins de controverses que la notion de principe, on peut l'utiliser sans avoir l'impression d'avancer sur un terrain trop contesté...
Pour contribuer à la réflexion sur ce thème, nous allons dans un premier point revenir sur les caractéristiques des règles d'action et ensuite envisager leurs différents apports dans les apprentissages. Nous illustrerons notre propos à partir d'exemples pris dans les sports collectifs.

 

LES RÈGLES D'ACTION

Pour G. Vergnaud, F. Halbwachs A. Rouchier, (1978) « une règle d'action est une règle qui permet d'engendrer des actions en fonction des valeurs prises par certaines variables de la situation »[10]. Ces variables peuvent évoluer dans le temps, ou d'une situation à l'autre ; une règle (ou une conjonction de règles) n'en est pas moins utilisée pour toute une classe de situations. Pour Gréhaigne et Guillon (1988), les règles d'action définissent « les conditions à respecter et les éléments à prendre en compte pour que l'action soit efficace » [3]. Dans l'échange de balle, se déplacer pour être : à distance de passe, vu du porteur, à l'écart d'un défenseur constitue un exemple d'énoncé. Ces règles peuvent être caractérisées de la manière suivante.

  • Elles sont conscientes, participent à la compréhension, à la sélection et à l'exécution de l'action en relation étroite avec les compétences motrices. Elles contribuent à l'explication de l'action.
    Au plan fonctionnel, ces règles d'action constituent un des supports principaux des savoirs tactiques. Elles permettent d'échanger entre partenaires ou de comprendre le discours de l'enseignant, de l'entraîneur. En ce sens, elles servent de support irremplaçable à la communication.
  • Elles concourent de façon décisive à la verbalisation, à la prise de conscience d'une situation, donc à la précision dans l'analyse d'un problème.
  • Les règles d'action peuvent être contradictoires voire opposées suivant les situations d'affrontement dans une même configuration du jeu comme par exemple lorsqu'il faut combiner le fait de disposer du maximum de receveurs potentiels pour augmenter les possibilités d'échanges et celui de renforcer et couvrir en permanence l'axe de son propre but. Cela oblige, dans la pratique, à raisonner de manière dialectique face à une difficulté. Le joueur doit savoir interpréter les règles, jouer avec elles, au besoin les enfreindre ou les redéfinir. En ce sens, on lui demande un rapport aux savoirs théoriques qui ne soit pas dépendant, mais au contraire critique, pragmatique, voire opportuniste et contextualisé. On peut alors retrouver par inférence, dans les décisions prises en jeu, la trace laissée par leur utilisation, leur évolution et leur évaluation. Ce type d'investigation n'est pas toujours aisé car les règles d'action bien intégrées deviennent au cours du temps des « habitus » : « système de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perception, d'appréciation d'actions qui rend possible l'accomplissement de lâches infiniment différenciées... » (P. Bourdieu, 1972) [2]. Dans cette perspective, l'habitus est simplement l'expérience singulière d'un joueur. Il constitue un mode de fonctionnement. le plus souvent non conscient, face au jeu.
  • Enfin, avec quelques précautions. ces règles d'action rapportées à des classes de problèmes (1) peuvent être regroupées autour d'un principe des actions efficaces comme jouer en mouvement pour amener la balle dans la zone de marque et marquer.

 

    ÉMERGENCE DES RÈGLES

    Pour réussir dans les tâches auxquelles il est confronté, l'apprenant prélève des données sur le réel et les met en relation avec les moyens mis en œuvre, c'est-à-dire les différentes séquences de l'action. Ensuite, il élabore un projet d'action qui définit le plus précisément possible l'articulation des différentes procédures qu'il entend utiliser. Après une ou plusieurs séquences de jeu, il est à même d'apprécier l'écart entre les effets attendus et les effets produits. L'élève peut alors établir des relations d'influence qui lui permettront soit de redéfinir un nouveau projet d'action dans le cas où le résultat attendu n'est pas atteint, soit de repérer les moyens de l'action efficace. Si les élèves constatent que sur 16 entrées en possession du ballon, ils ont récupéré cinq balles près de la cible ce qui a permis de marquer trois buts sur un total de quatre, ils pourront en déduire que pour marquer plus facilement, il faut récupérer la balle le plus près possible du but adverse. Ces moyens de l'action efficace lorsqu'ils revêtent un caractère de constance et sont suffisamment lares pour prendre le statut de règles d'action.
    Les règles d'action ainsi définies, deviennent alors une sorte d'auto consigne pour l'élève qui est en mesure d'établir des « réglages actifs » (J. Piaget, 1974) et d'affiner alors ses réponses motrices. En effet, il va de soi qu'il ne suffit pas de faire émerger des règles d'action pour transformer les réponses motrices du sujet. Une conduite motrice ne se résume pas à la somme ou à la juxtaposition des règles d'action mises enjeu. Elle est toujours originale, souvent complexe et représente une organisation particulière du sujet face à une situation précise.


    UTILISATION DES RÈGLES

    Pour faciliter la contextualisation des problèmes, savoirs (2) sur le jeu et savoirs en jeu seront réunis dans une grande catégorie les « savoirs en action » soulignant par là notre attachement à des savoirs en synergie avec les « compétences motrices » en vue d'être efficace sur le terrain. En ce qui concerne, les règles d'action, véritable savoir sur le jeu, leur utilisation isolée ou articulée avec d'autres règles, comme les règles de l'organisation du jeu, constitue une réponse à un problème donné. Elles représentent une vérité ponctuelle et certaines règles, justes temporairement, peuvent s'avérer inopérantes ou être, à titre transitoire, un obstacle au progrès à d'autres moments de l'apprentissage.
    II est nécessaire de mieux comprendre l'articulation entre les divers types de savoirs dans la pratique afin de cerner leur place dans l'ensemble des compétences d'un joueur.

    Manifester des compétences dans le jeu, c'est, de façon générale, face à une situation complexe, être capable :

    • d'identifier les obstacles à surmonter ou les problèmes à résoudre pour marquer ;
    • d'envisager diverses stratégies appropriées (du point de vue du temps, de l'espace, des ressources,...) ;
    • de planifier et de mettre en œuvre tactiquement la stratégie adoptée ;
    • de piloter cette mise en œuvre au gré des événements, en affinant ou modulant la stratégie prévue tout en coopérant avec des partenaires ;
    • au besoin, de réévaluer la situation et d'appli-quer une autre tactique ;
    • en cours ou à l'issue de l'action, de tirer certains enseignements pour une autre fois, de stabiliser les opérations et les décisions pour en conserver des traces réutilisables.

    Dans ce cadre, la notion d'activité du sujet ne se ramène pas seulement à la partie effectuation de l'action. Elle consiste aussi, dans une large mesure, à explorer le champ des savoirs, à faire des rapprochements analogiques ou contradictoires des différents éléments et alternatives de la situation. Cette activité est un effort du sujet pour répondre de façon plus cohérente et plus économique aux systèmes de contraintes qui lui sont proposés et propose une démarche somme toute très expérimentale.
    Dans le développement de ces savoirs, les novices emploient des procédures générales, littérales et isolées ; les conditions dans lesquelles l'action doit se dérouler sont examinées partiel-lement, successivement et hiérarchiquement. Pour les joueurs débrouillés, le résultat de l'apprentissage fait que les procédures sont affinées, associées, sophistiquées et discriminatoires, en un mot tactiques. Les joueurs contextualisent les conditions d'affrontement, tiennent compte des caractéristiques explicites, implicites de la situation qui sont souvent ramenées à quelques éléments très simples. C'est à notre avis, dans la phase d'apprentissage que les règles d'action ont une importance primordiale. Dans des conditions où les contraintes temporelles peuvent être réduites, l'élève a la possibilité d'établir, à partir de règles d'action, un projet avant d'agir après une analyse a priori des éléments de la situation. De même il peut analyser ses réponses après l'action tant au niveau de ses effets qu'à celui des moyens utilisés. Ici, l'activité cognitive du joueur n'est pas de même nature que dans un match et permet la prise de conscience et la verbalisation sans pénaliser l'action.

     

    DIFFÉRENTS CHEMINS

    Il existe fréquemment plusieurs solutions ou attitudes distinctes chez le sujet, qui peuvent constituer une réponse adaptative satisfaisante à un affrontement donné. Il existe également plusieurs situations distinctes où une même solution ou attitude peut constituer une réponse adaptative satisfaisante. On constate, ici, une indétermination partielle des structures du sujet, source de plasticité, bien que cet ensemble soit très contextualisé au plan temporel dans les jeux d'opposition.
    Nous possédons à l'heure actuelle peu de don-nées sur la construction de cette expertise et sur les différents chemins qui y mènent. La notion de registre de fonctionnement d'un joueur en relation avec les règles d'action mises en oeuvre et les compétences motrices utilisées constituent sans doute une piste intéressante à suivre. Les règles mises en réseau par l'activité du sujet, utilisées de façon consciente ou automatique, constituent la base d'un savoir stratégique et tac-tique en sport collectif.
    Fondamentalement, elles sont à l'interface de la perception de la situation et de la décision. Le joueur est confronté à des problèmes tels qu'il ne saurait s'en tenir à des routines ou puiser des solutions toutes faites dans un répertoire établi par d'autres que lui. Dans un match, la complexité, la pression temporelle, la diversité, la mobilité des situations et des décisions qu'elles appellent, excluent une séparation très poussée entre conception et exécution de l'action. Le joueur est tour à tour et simultanément, concepteur, analyste, exécutant et régulateur, parce qu'une division des tâches et des fonctions trop importante compromettrait la rapidité, la cohérence, la qualité ou l'efficacité de ses réponses.


    QUELQUES PRÉCAUTIONS

    Pour l'élève qui réussit dans ce type de démarche didactique, il faut tenir le plus grand compte de l'utilité et de la pertinence des savoirs à construire ainsi que du sens que les élèves accordent aux situations. Le sens renvoie à la formulation implicite ou explicite que le sujet assigne à la tâche, aux observables, aux consignes de la tâche avant de les traiter. Comment caractériser ce sens que les élèves attribuent aux situations d'enseignement en EPS ? Cette notion pourrait être définie de la façon suivante : c'est une évocation particulière de la situation par le sujet, en partie liée à son appartenance socioculturelle, en rapport avec ses conceptions/représentations de la matière enseignée et ses motivations intrinsèques. De plus, les ressources affectives et attentionnelles des élèves constituent des données importantes à prendre en compte.
    Pour mettre les élèves en activité, pour transformer les joueurs, une première étape consiste à mieux connaître leurs modèles personnels de référence. Cela évite de proposer à des élèves en difficulté des procédures de résolution de situation par trop cognitives, rationnelles et ayant perdu leur charge émotionnelle.

     

    DISCUSSION

    La notion de principe a fait l'objet de nombreux débats contradictoires qui ont malheureusement quelque peu terni la valeur de ce concept. Ainsi, pour de nombreux groupes académiques de recherche, principe des opérations et principe des actions représentaient une seule et même entité, opération ou action étant pris au sens piagétien des termes.
    Par contre, en prenant quelques garanties, la notion de règle d'action reste un formidable outil de compréhension d'une partie de la pratique des activités physiques, sportives et d'expression. Cette formalisation des savoirs, avec des fonctions et des hiérarchies différentes, sert de référenceà l'apprenant ou au joueur agissant. Pour les élèves, les règles d'action sont des savoirs sur les actions et comme telles peuvent être des outils de gestion des apprentissages. Elles constituent avec les règles de gestion de l'organisation du jeu, plus centrées sur l'analyse de la matière, un support à la culture tactique.
    Pour l'enseignant ou l'entraîneur, elle sert de support au modèle didactique élaboré pour transformer l'activité du sujet en fonction des différents niveaux d'habiletés rencontrés.

    Jean-Francis Grehaigne
    IUFM Franche-Comté.

     

    Bibliographie

    [l] Beunard, P. - Dersoir, G. (1992). Éducation physique Sport collectif. Nantes: CRDP.
    [2] Bourdieu, P. (1972). Esquisse d'une théorie de la pratique. Genève : Droz.
    [3] Gréhaigne, J-F - Guillon, R. (1991). Du bon usage des règles d'action. Échanges et controverses. Paris : APECC. 4346.
    [4] Gréhaigne, J-F. (1992). L'organisation du jeu en foot-ball. Paris: ACT10.
    [5] Groupe Sports collectifs de l'Académie de Dijon (1994). Didactique des sports collectifs à l'école. Dossier EPS n° 17.
    [6] Marin, J-C. (1993). Règles d'action, histoire d'une notion. Lyon, France. Revue Spirale 6, p. 103-109.
    [7] Piaget, 1. (1974). Réussir et comprendre. Paris : P.U.F. [81 Pineau, C. (1992). L'évaluation en EPS. Revue ERS, 235, 43-46.
    [9] Temprado, J-L (1994). Principes et acquisitions des habiletés motrices. Revue EPS, 246, 32-35.
    [10] Vergnaud, G. - Halbwachs, F. - Rouchier, A. (1978).
    Structure de la matière enseignée, histoire des sciences et développement conceptuel chez l'enfant.
    Revue française de pédagogie, 45,7-18