ASSOCIATION DES CONSEILLERS PÉDAGOGIQUES EN EPS DES BOUCHES DU RHÔNE

Des difficultés à enseigner à la souffrance : le travail en question

Françoise LANTHEAUME
Prises de note de M. Jallet
Universités d’automne du SNUIPP – octobre 2010

 
Hypothèse : le travail et la personne au travail souffrent dans le même temps

Résultats des dernières enquêtes :

enquête sur l’évolution du métier et sur l’évolution de la professionnalité (700 enseignants du second degré)
 
Ces enquêtes ont révélé deux paradoxes :

  • le niveau élevé des plaintes des enseignants et le niveau d’engagement dans le travail[1]toujours élevé
  • manifestation partagée du ras le bol et recours à de l’expérience individuelle

 
Ces difficultés sont exprimées aussi bien par des débutants que par des experts.

  • Elles sont non permanentes (chaque enseignant dit en avoir rencontré mais n’a pas forcément connu la souffrance).
  • La difficulté fait partie du travail de la conception à sa mise en œuvre.. Le travail ce n’est pas seulement appliquer des procédures, c’est mobiliser des ressources pour résoudre des problèmes qui relèvent de l’inattendu.
  • La difficulté bascule parfois vers la souffrance. La difficulté et la souffrance ne se mesurant pas, il faut trouver des indicateurs.

 
Un autre problème à ce déni de la difficulté des enseignants au travail : l’illégitimité de la souffrance des enseignants  vue par le monde extérieur à l’école (« Vacances », « stabilité de l’emploi », « Ils se fatiguent moins que d’autres »…). Ce déni est intégré par les enseignants eux-mêmes.
 
Des catégories sur la difficulté au travail qui ramènent à la personne (qui en est le support et la cause) :

  • médical : pour un petit nombre d’enseignants
  • enseignants en difficulté
  • enseignants ressentant un malaise
  • enseignants ayant des risques psycho sociaux. (« personnalités fragiles », « des psycho rigides »…)

 
Toutes ces difficultés ont un coût : économique, d’efficacité au travail, personnel (de l’école vers la maison).
 
L’enquête a montré une nouvelle catégorie celle de la souffrance ordinaire.
 

1- Le sentiment d’inutilité et d’impuissance

Décalage entre investissement ou engagement très forts et résultats des élèves.
Le travail lié à l’intéressement des élèves est beaucoup plus lourd qu’auparavant
La succession de réformes et d’injonctions paradoxales portent atteinte à la qualité de l’enseignement :

  • accélération des réformes et des injonctions
  • réformes qui se font en dehors de l’expertise des enseignants (perçues comme non pertinentes)
  • réformes mises en place pour un agenda politique
  • le travail par ajustements est antinomique avec les réformes accélérées
  • montrer des résultats collectifs et faire de l’individualisation ;

 
Deux logiques :

  • une traditionnelle, logique de mandat : transmettre un patrimoine culturel, inculquer des normes sociales, construire un homme porteur d’une culture
  • logique de service : rendre « un service » par une contractualisation. Partir du besoin pour construire avec le « bénéficiaire ».

 

2- Le doute sur ce « qu’est bien faire son travail »

Troubles profonds sur la diversification des tâches, des missions, et intensification du travail. Il en résulte une porosité plus grande entre vie professionnelle et vie personnelle.
L’engagement de soi ne s’arrête pas à la porte de l’école, d’où une hyper vigilance sur soi, sur les autres, sur les objets. Cela permet de durer, d’endurer mais est source de grande fatigue.
Les contours du métier deviennent flous.
 

3- Les relations à la hiérarchie, aux parents et le problème de la reconnaissance

  • Sentiment d’abandon par la hiérarchie (qui juge les enseignants résistants aux changements)
  • Les citoyens acquièrent une compétence critique. Les enseignants n’apprécient pas d’en être destinataires surtout avec plusieurs points de vue.
  • Le rapport avec les parents est complexe avec des attentes contradictoires (que leur enfant soit bien à l’école, que leur enfant apprenne le mieux pour leur avenir)

Le travail de justification est pénible et compliqué

De ces constats ressort une reconnaissance compliquée de la part de la hiérarchie, des parents mais aussi des collègues. Il n’y a donc plus de collectif de travail.
Il reste le jugement des élèves qui reste l’idéal du métier !


ANALYSE DE CES RESULTATS :

Depuis fin 90, on assiste à des politiques caractéristiques :

  • dérégulation des règles centrales : améliorer l’efficacité en donnant plus de pouvoir au niveau local et à la compétition. (par exemple positionner les pays), d’où une décentralisation, des projets éducatifs qui deviennent des contrats d’objectifs.
  • Le pilotage par les normes
  • Les tensions entre produire des résultats, produire une élite, lutter contre l’exclusion scolaire.

Slogan : « Faîtes du chiffre mais prenez en compte les besoins particuliers »

Conséquences :

  • phénomène de sur prescriptions (à tous les niveaux). Mais ce prescrit reste flou ce qui entraîne une auto prescription (pas de règles collectives et des inventions personnelles)
  • « Débrouillez-vous » ! D’où des conflits de normes (internes à la personne)

 
CONCLUSION :

Recentrer et imposer leur place dans le débat sur « quels sont les critères de qualité de notre travail ? ».
Exiger une expertise du métier reconnue.
Une énergie à ajuster
Le métier doit être une ressource.
Le rétrécissement du temps personnel a un impact sur le travail et les résultats.
Le travail n’est pas un simple acte technique : il a d’abord une dimension sociale et humaine. On travaille en partie pour une réalisation de soi.
 
L’organisation de travail doit permettre l’émergence de collectif mais ne doit pas empiéter sur la vie privée.
 
Un ouvrage recommandé : « Coussins compassionnels » d’Yves Clot



[1]Néanmoins , on note des ruptures arrivant plus tôt dans la carrière.