ASSOCIATION DES CONSEILLERS PÉDAGOGIQUES EN EPS DES BOUCHES DU RHÔNE

Accompagnement de l’entrée dans le métier

 

Michel Baraër & Pierre Bédécarrats 
Conférence ANCP NATHAN (extraits)
Saint-Malo jeudi 14 avril 2005

Introduction

Depuis 6 ans, nous organisons des actions, mettons en place des dispositifs particuliers pour les enseignants débutants de notre circonscription. C’était une initiative pionnière au début mais depuis 4 ans maintenant, le MEN demande que partout les jeunes titulaires bénéficient d’un accompagnement lors de leur entrée dans le métier.

Il nous paraît intéressant de faire le point sur cette formation particulière et de proposer des éléments pour son analyse.

Cette réflexion voudrait aussi contribuer à mettre l’accent sur quelques enjeux de la formation initiale dans un moment où il est question de la modifier.

 

1. L’accompagnement, une idée neuve ?

Un bref parcours dans l’histoire de la formation des maîtres permet de mieux situer la genèse de l’idée d’accompagnement et d’en mesurer l’originalité.

1.1  Il suffirait de savoir pour apprendre à enseigner

On peut parler de formation des maîtres organisée à partir de la Révolution. Ce moment voit le triomphe d’une idée essentielle de l’idéologie des Lumières : le savoir, la connaissance sont essentiels et le plus grand nombre doit y avoir accès. La constitution de juin 93 précise que « L’instruction est le besoin de tous, la société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens »
Compte tenu de la faible scolarisation du pays, les besoins en enseignants sont immenses. Comment en former vite et beaucoup ?
Le 9 brumaire an III (30 octobre 1794), sur le rapport de Lakanal qui parle au nom du Comité d'Instruction Publique, la Convention décrète « qu'il sera établi à Paris une école normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l'art d'enseigner ».
Les professeurs de cette première école normale sont donc les savants de l’époque (Monge, Laplace, Lagrange, Berthollet…). Pour choisir les élèves, il a été prévu qu’un homme d’au moins 21 ans sur 20000 viendra à Paris suivre les cours durant 4 mois. Charge à lui d’ouvrir ensuite lui-même une école dans sa province. Le gouvernement ne lésine pas sur les moyens : les cours seront recueillis par des sténographes et ensuite publiés dans le journal de l’école ; une conférence où les élèves discuteront avec les professeurs, leur demanderont des éclaircissements ou leur feront des objections aura lieu une fois par décade.
Cependant, dans les cours, les professeurs exposent ce qu’ils savent, c’est à dire non pas l’art d’enseigner mais la géométrie descriptive (Monge), la théorie des équations algébriques (Laplace), le langage chimique (Berthollet)… Les auditeurs n’y comprennent pas grand-chose. L’école ne fonctionne que quatre mois, au début de 1795. Elle ferme sur un constat d’échec : les leçons de ces professeurs dont les noms sont pourtant restés dans l’histoire des sciences n’ont pas réussi à former des maîtres. Ils n’avaient sans doute pas suffisamment eux-mêmes « l’art d’enseigner ». Surtout, il ne suffit pas de savoir pour apprendre à enseigner.
Cet échec ne va pourtant pas entraîner la disparition de cette conception qui lie directement la connaissance et la capacité de sa transmission.
Actuellement encore, tout se passe comme si, plus l’enseignant serait savant, moins il aurait besoin de compétences spécifiquement pédagogiques. Les modalités de recrutement des professeurs depuis le primaire jusqu’au supérieur le reflètent : toutes les épreuves du CRPE ont une dimension spécifiquement pédagogique, au CAPES, seul un entretien a une tonalité didactique, à l’agrégation aucune exigence concernant des qualités pédagogique n’est requise, et les enseignants chercheurs du supérieur doivent faire preuve uniquement de leurs capacités de chercheurs.
La pédagogie est encore considérée, au moins en partie, comme essentiellement capacité à présenter et expliquer le savoir. Dans cette conception, c’est la maîtrise des contenus qui est essentielle puisqu’elle donnerait, ipso facto, « l’art d’enseigner ».

 

1.2 Pour enseigner à un jeune public, une formation pédagogique est quand même bien utile

La nécessité de développer l’instruction s’impose au fil des années. Or, les maîtres d’école du début du XIXe siècle ont souvent de faibles connaissances.
En 1816, une ordonnance royale impose un brevet de capacité à ceux qui veulent enseigner. Il comprend tois degrés :

  • le 3ème pour ceux qui savent lire écrire et chiffrer,
  • le 2ème pour ceux qui connaissent l’orthographe (sous la dictée), la calligraphie, les rudiments de l’arithmétique et la méthode d’enseignement simultané,
  • le 1er  pour ceux qui savent en plus la grammaire, l’arpentage, la géographie et qui ont des connaissances pédagogiques.

(À noter qu’en 1829, 71 % des maîtres détenteurs du brevet n’ont que le 3ème degré)
Des connaissances pédagogiques figurent dans ce premier « référentiel de compétences professionnelles », notamment la connaissance de l’enseignement simultané.
Traditionnellement, l’enseignement est individuel c’est à dire que le maître s’occupe de chacun des élèves successivement. Ce sont les frères des écoles chrétiennes de J-B de la Salle (1651-1719) qui ont mis au point l’enseignement simultané : les élèves sont regroupés par niveau (commençants / médiocres / avancés) et un maître s’adresse à tous ceux d’un même niveau en même temps. Cette technique a entre autres avantages de permettre l’enseignement d’un grand nombre d’élèves. Le développement de la scolarisation rend donc sa maîtrise nécessaire
À cette même époque, un autre procédé est lui aussi conçu pour l’enseignement d’un grand nombre d’élèves, c’est l’enseignement mutuel. Il consiste à réunir dans une même salle, pour un seul maître, jusqu’à cent cinquante enfants, et à les diviser en groupes confiés à des élèves moniteurs. Du haut d’une estrade, le maître agit comme un chef d’orchestre, il transmet ses ordres à l’aide de gestes et de signaux sonores et visuels et les moniteurs répercutent les consignes. Par exemple, les élèves se regroupent par demi-cercles autour des moniteurs de lecture, à d’autres moments, ils prennent place devant de longues tables au bout desquelles d’autres moniteurs règlent des exercices, munis de tableaux de grammaire avec questions et réponses.
Dans les écoles normales qui petit à petit s’ouvrent dans certains départements, les maîtres reçoivent une formation pratique qui vise à la maîtrise de ces nouvelles modalités d’enseignement.
Ainsi, dans les premières années de l’école normale de Rennes (elle ouvre en 1831) l’initiation à la pédagogie se passe en 2ème année d’études. Des cours magistraux exposent les différentes méthodes et les normaliens peuvent s’exercer à l’école mutuelle de la ville. Ils observent, prennent des notes, certains jouent le rôle de moniteur général (le second du maître). Dès 1833, une école mutuelle est crée à l’EN. Elle accueille des élèves des campagnes avoisinantes (l’EN, bien que située déjà route de Saint-Malo, se trouve alors à la campagne). Les normaliens jouent tour à tour les rôles d’élèves, de moniteur et de maître. Cependant, les élèves sont des petits pauvres qui fréquentent l’école épisodiquement, et beaucoup des normaliens seront instituteurs en zone rurale où il n’y aura pas assez d’enfants pour mettre en pratique l’enseignement mutuel.
À partir de 1840, cette première école annexe de l’EN adopte le mode simultané. Les normaliens y apprennent cette façon d’enseigner et ils peuvent continuer de découvrir la méthode mutuelle dans les classes en ville.
Comme celle de Rennes, les écoles normales comporteront toutes une part d’apprentissage pratique à l’exercice du métier. Les IUFM recueilleront cette héritage : les écoles annexes disparaissent avec la fermeture des EN mais les IUFM conservent un réseau de classes d’application.

 

1.3 Les débutants non formés doivent être accompagnés

Malgré le développement des écoles normales (47 en 1833, 74 en 1837 après la loi Guizot et enfin 2 par département après les lois Jules Ferry et Paul Bert), de nombreuses personnes commencent à enseigner sans avoir reçu de formation. (La constance avec laquelle on confie des classes à des ignorants de la pratique pédagogique — aujourd’hui encore les « listes complémentaires » — montre que l’idée de la prééminence de la maîtrise des contenus est toujours vivante).

Ce type de recrutement est particulièrement important après la 2ème guerre mondiale. Le baby boom, le succès de la maternelle remplissent les écoles. On embauche des milliers de jeunes bacheliers (voire de jeunes brevetés) et on leur confie immédiatement des classes. Evidemment, beaucoup rencontrent des difficultés. Pour les aider, on crée la fonction de conseiller pédagogique du primaire. Pendant les années 60 et 70, ces premiers CPC vont se consacrer essentiellement à l’aide aux « suppléants », « remplaçants », « auxiliaires »… Ils iront les voir en classe, feront devant eux des leçons modèles, animeront avec les inspecteurs des réunions pédagogiques le jeudi …
 
L’idée d’accompagner les débutants n’est donc pas nouvelle. Cependant, ceux qu’il s’agit d’accompagner aujourd’hui, ne se sont pas des personnes dépourvues, lancées sans préparation dans le grand bain. Ce sont des professeurs qui ont suivi un cursus de formation complet comprenant une partie pratique (ils ont été initiés à la pratique pédagogique, ils ont accompli des stages en responsabilité… ). Cela constitue un grand changement. Il y a peu de temps encore, on considérait que les sortants de formation initiale étaient suffisamment formés et pour une longue période (Dans le Morbihan, les normaliens sortants ne pouvaient réclamer de formation continue pendant plusieurs années).
 
Comment expliquer cette nouveauté ?

 

2. L’accompagnement des jeunes titulaires, une modalité adaptée aux nouvelles réalités du métier

2.1 Les justifications officielles

On lit dans la circulaire de 2001 (n° 2001-150, du 27 07 2001) intitulée Accompagnement de l’entrée dans le métier et formation continue des enseignants des 1er et 2nd degrés et des personnels d’éducation et d’orientation : « Le renouvellement historique de près de la moitié du corps enseignant au cours des dix prochaines années et la reconnaissance de l’importance qui s’attache à l’entrée dans le métier comme préfiguration de l’exercice maîtrisé d’une profession nécessitent une installation rapide de dispositifs académiques d’accompagnement des enseignants nouvellement nommés dont les compétences pèseront fortement et durablement sur l’avenir du système éducatif. »
Cette déclaration peut être diversement interprétée. Est-ce « Le renouvellement historique de près de la moitié du corps enseignant au cours des dix prochaines années » (une raison quantitative) ou « la reconnaissance de l’importance qui s’attache à l’entrée dans le métier comme préfiguration de l’exercice maîtrisé d’une profession » (une raison qualitative) qui justifient l’accompagnement ? 
 
Le Plan de Jack Lang sur la formation des enseignants, indiquait dans sa Deuxième partie : l’accompagnement de l’entrée dans le métier (déclarations annoncées le 12 02 2001) : « Tout le monde s’accorde désormais à reconnaître l’importance qui s’attache à l’entrée dans le métier comme préfiguration de l’exercice maîtrisé d’une profession, particulièrement pour les enseignants. Ce moment s’avère en effet déterminant : il correspond à un changement de statut professionnel qui nécessite, quelle que soit la qualité de formation initiale dispensée, d’adopter un positionnement nouveau dans nouvel espace professionnel. »
Ce « document de travail », préparatoire à la circulaire de juillet 2001, était lui sans équivoque : il s’agit d’accompagner une transformation. Ce texte était par ailleurs explicite sur la nécessité de prolonger, « quelle qu’en soit la qualité » la formation initiale.

 

2.2 Ce qu’en a dit la presse :

Fanch Olivier, journaliste, a suivi pour le Télégramme un séminaire de l’IUFM. On peut lire dans son article du jeudi 31 janvier 2002, p. 7, sous le titre « Jeunes enseignants : une entrée en douceur dans le métier » : « Les problèmes d’indiscipline et l’adaptation au niveau scolaire des élèves et des classes émergent très nettement de l’inventaire des difficultés rencontrées lors de la première année de cours.[…] Ouvrant hier les travaux du séminaire, Marc Debène, recteur d’académie, a demandé aux formateurs de l’IUFM de travailler dès maintenant à la mise en œuvre de l’accompagnement en y intégrant les particularités bretonnes : une moindre attractivité du Centre Bretagne et l’importance des contractuels (500 cette année). L’enjeu est important quand on sait que près de la moitié du corps enseignant sera renouvelé[e] au cours des dix prochaines années… »
L’argument retenu est celui du versant quantitatif. L’aspect « qualitatif » renvoie, d’un point de vue tout à fait médiatique, au « sécuritaire » et au « niveau des classes », qui baisse.

 

2.3 D’autres bonnes raisons

2.3.1 Une « professionnalisation » du « métier » d’enseignant

La revalorisation du métier d’enseignant s’est accompagnée d’une réflexion sur ce qu’il devrait être pour relever les enjeux éducatifs, en particulier pour faire réussir davantage d’élèves. Il y aurait à opérer un changement paradigmatique dans sa conception : passer d’un métier comportant une large part d’exécution à un métier comprenant une grande mesure de conception.
Dans le premier cas, on considère que l’essentiel des techniques et procédés nécessaires à l’accomplissement des tâches du métier existent et qu’ils peuvent être appris initialement, avant l’exercice du métier lui-même, pour être mis en œuvre ensuite.
Dans la conception « professionnelle », on pense qu’on ne peut donner à ceux qui exercent que des tâches et des buts (des élèves, un programme et des compétences à faire acquérir) et que, compte tenu de la complexité et de la singularité de chaque situation, les moyens pour atteindre les buts sont largement à concevoir. La connaissance des techniques et procédés existants n’est pas suffisante, ces moyens sont à adapter, à remodeler. La façon de s’en servir est à inventer.

2.3.2 On ne peut apprendre in vitro le in vivo

La formation des futurs enseignants, effectuée dans in vitro d’un centre de formation, ne peut pas permettre de concevoir l’exercice professionnel, lein vivo. On ne peut pas savoir faire ce métier avant de le faire, quelle qu’ait été la qualité de formation initiale dispensée.
Certes, les PE2 vivent des stages en responsabilité, mais ce sont des « réalités » vécues comme provisoires : le temps, très court (au maximum 3 semaines), ne permet pas leur investissement à long terme ; les limites de leur responsabilité ne leur autorisent que de brèves audaces pédagogiques.
Ce qui est propre à l'exercice professionnel, le in vivo, c’est lors de la première année d’exercice que le nouvel enseignant va y être confronté : la pression du temps, des élèves, des programmes, des parents, des collègues, de la hiérarchie. C'est à ce moment qu'il doit construire ses compétences essentielles : capacité à mobiliser ensemble les connaissances spécifiques aux didactiques, à la pédagogie, à la psychologie de l'enfant ; capacité à écouter, à négocier, à communiquer, à organiser, à diriger... et cela souvent dans l'instant, face à des situations toujours nouvelles.
La maîtrise du temps, en particulier, est à construire. Quand on enseigne à 20 ou 25 élèves durant toute une année, il faut, par exemple, adapter son travail de préparation. Il est impossible de faire des fiches approfondies pour chacune des séquences des 6 heures de la journée. Il faut apprendre à décider des priorités, à ne conserver que l'essentiel, à s'appuyer sur les ressources et les aides pertinentes. Il faut apprendre le pilotage au long court, à planifier les activités et les apprentissages sur une séquence de quelques jours, sur une période, sur l’année entière.

2.3.3 L’entrée dans le métier, moment crucial pour la constitution de l’identité professionnelle

Dans ces premiers moments d’exercice professionnel, le « principe de réalité » vient bousculer l’ensemble des représentations du métier, l’idéal que chacun s’était constitué.
Le débutant prend conscience d’un écart entre ses attentes initiales et la réalité de la classe. Les élèves ne sont pas toujours comme espéré : certains sont agités, peu studieux, peu gratifiants. Il y a des moments difficiles où il faut restaurer l’ordre. Le métier ne se réduit pas au tête à tête avec les élèves, il comprend des rapports avec d’autres adultes (collègues, parents…), avec une hiérarchie à laquelle on n’avait pas pensé.
Plus profondément ce moment particulier de rencontre permanente avec les autres renvoie à soi : moi-même, quel élève étais-je ? suis-je fait pour ce métier ? suis-je vraiment capable de l’exercer ? jusqu’où suis-je prêt à m’y engager ? Le nouvel enseignant est interpellé dans ses rapports à l’autorité, à la légitimité, à la reconnaissance, à la singularité… C’est toute une part plus ou moins ignorée de lui-même qui se révèle, et tout un travail personnel de recherche de cohérence qu’il doit mettre en œuvre.
 
L’identité professionnelle passe aussi par l’affirmation de choix philosophiques (représentation de l’homme) et pédagogiques : c’est au pied du mur qu’on sait si on est vraiment constructiviste ou pas, si on accepte de laisser les élèves chercher ou si on se comporte comme un maître tout puissant.
 
 Pour tenir compte de ses différents enjeux quels dispositifs peuvent être mis en place ?

 

3. Quels rôles et quelles pratiques du conseiller pédagogique ?

3.1 Conseiller / novice côte à côte ?

Accompagnement, Accompagner… : cette famille de mots appelle à se partager le pain (compain), l’un à côté de l’autre, sur le même plan, dans un rapport de proximité.
Cette connotation est intéressante et pour le formé qui n’est pas considéré dans ses insuffisances mais au contraire placé dans une certaine égalité avec un expert, et pour le formateur qui préfère convaincre plutôt que de faire valoir l’antériorité et de la supériorité de son savoir.
Pour autant, elle ne doit effacer la nécessaire expertise dont le conseiller doit faire preuve : ses analyses, ses conseils… peuvent être précieux au débutant.
En ce qui nous concerne, nous essayons de maintenir cet équilibre entre proximité et expertise dans notre suivi individualisé des T1. Nous y alternons les temps de visite — moments particulièrement inégalitaires où l’un est au travail sous le regard perçant de l’autre — avec des temps de préparation de séances, d’élaboration de programmations, de montage de projets… où nous « mettons les mains dans la pâte » avec les novices.

 

3.2 Conseiller / novice tête à tête ?

Cette relation reste malgré tout inégale par de nombreux aspects. Elle peut donc, si elle reste duelle (si le côte à côte est aussi un tête à tête), facilement tourner à la relation maître / disciple.
Dans notre circonscription, nous avons chacun un certain nombre de T1 « en responsabilité » mais, grâce au stage filé et au réseau, d’autres relations, d’autres interactions introduisent de la relativité et de la diversité.
Pour éviter les effets de tête à tête avec les T1, il est important aussi que nous soyons deux CPC. Cela nous permet de confronter les analyses, de partager les problèmes et les interrogations, et de nous rassurer : nous sommes avec les T1 dans une relation humaine délicate. Nos interlocuteurs vivent un moment particulièrement sensible de leur vie : difficile, excitant, exténuant, interrogeant… Nous savons que nos initiatives peuvent trouver beaucoup d’écho, avoir de grandes conséquences.

 

3.3 Le conseiller interface

Dans l’accompagnement, plus que jamais, le CPC est celui qui doit aider à éclairer les pratiques quotidiennes par des questions théoriques et à interroger les théories par des questions de pratique.
Le fonctionnement du réseau nous aide à tenir ce rôle. Préalablement aux rencontres collectives, puis entre ces rencontres, nous essayons lors de nos visites dans les classes d’aider les T1 à dénouer les fils complexes de leurs actions, à percevoir les objets essentiels, les gestes importants afin que les façons de faire soient plus communicables aux autres et puissent nourrir les questionnements et propositions de travail qui sont rapportés au groupe.
Entre les rencontres, nous accompagnons la mise en œuvre des propositions du programme de formation.

 

3.4 Le conseiller régulateur

Liens entre le terrain d’exercice et l’analyse, nous sommes aussi régulateurs du fonctionnement du réseau : nous devons éviter les dissymétries et rapports hiérarchiques symboliques qui pourraient s’instaurer ;rassurer, mettre en confiance, notamment ceux qui sont en difficulté dans leur classe, pour que tous osent participer au groupe, prendre le risque de la confrontation ; nous donnons crédibilité et valeur à ce que chacun dit de sa pratique (puisque nous avons vu chacun dans sa classe) ; c’est à nous d’éviter les jugements de valeur et de mettre l'accent sur les réussites, d’assurer un fonctionnement respectueux de tous.
 
Tous ces rôles que nous avons à y jouer nous amène à dire que notre réseau est à double articulation : horizontale entre pairs et verticale entre enseignants et formateurs.

 

3.5 Le conseiller équilibriste entre le trop et le pas assez

Nous avons parfois l’impression d’avancer sur un fil, une ligne ou les équilibres sont bien délicats à trouver.

3.5.1 L’équilibre entre dire et risquer de blesser et se taire et risquer que les choses restent en l’état

Lorsque le novice n’arrive pas à gérer la classe, qu’elle est, par euphémisme, très « agitée », il est difficile de trouver les mots pour signifier la gravité des choses sans culpabiliser, délicat de s’adresser à la personne (dans son rapport à l’autorité) alors qu’on est dans une relation professionnelle. L’équilibre est d’autant plus difficile à trouver que l’on sait d’expérience que la même attitude adoptée avec deux personnes différentes peut avoir des résultats contradictoires.

3.5.2 L’équilibre entre être présent et risquer de freiner l’initiative et laisser en autonomie et risquer l’échec de l’initiative

Nous organisons pour nos T1 des visites dans la classe de collègues chevronnés. Jusqu’à maintenant, nous nous contentons de mettre en rapport les personnes concernées et de veiller au remplacement du débutant. Les T1, de retour dans leur classe, cherchent à y transférer des pratiques qui leur ont semblé intéressantes chez le collègue visité. Parfois, ce transfert échoue et nous avons récemment constaté que les conclusions tirées alors par le novice peuvent être négatives : « moi, si je n’y arrive pas, c’est que je ne suis pas bonne enseignante » ». Notre présence éviterait sans doute une grande partie de ces déboires car nous ferions davantage réfléchir aux principes qui conduisent à la réussite ou à l’échec de telle ou telle pratique… mais, les progrès ont aussi besoin de l’autonomie.

3.5.3 D’autres équilibres difficiles

Un document en ligne sur le site de l’académie d’Orléans-Tours, lance aux formateurs accompagnateurs une série de questions qui montrent combien, dans l’accompagnement, chaque « bonne » action ou intention peut avoir des conséquences négatives :
Comment aider sans se substituer, guider sans contraindre ?
Comment indiquer une ficelle du métier sans mettre entre parenthèses le sens du travail ?
Comment entendre les difficultés sans jouer les « psy sauvages » ?
Comment proposer une démarche sans imposer sa méthode ?
Comment gérer ses propres doutes sans les transférer sur l’autre ?
Comment répondre à un appel à l’aide sans surprotéger ?
Comment accepter de s’effacer progressivement sans se sentir dénié ?
Comment éveiller la vigilance sans paralyser ?

 

Conclusion :

Des bruits courent concernant des modifications de la formation. Le ministre est jusqu’ici resté peu loquace sur cette question mais son insistance à faire de l’IUFM un établissement universitaire renforce certaines craintes : à l’avenir, les stagiaires pourraient recevoir à l’IUFM une formation vraiment théorique dispensée par des professeurs authentiquement universitaires et, sur le terrain, ils apprendraient la pratique vraiment concrète aidés par des tuteurs effectivement praticiens. Si ces craintes se révélaient fondées, on installerait alors les futurs professeurs dans une espèce de schizophrénie en leur laissant le soin de trouver eux-mêmes les liens entre la pratique et sa réflexion.
Cette conception a été dénoncée, aux assises de la formation organisées par des syndicats en janvier dernier, par une contribution présentée par Roland Goigoux : « La formation des enseignants doit être conçue comme une formation en alternance entre le terrain professionnel et l’institut universitaire. Cette conception s’oppose à deux autres que nous rejetons  : l’applicationnisme, véhiculant l’illusion d’une simple mise en oeuvre sur le terrain scolaire de savoirs fondamentaux élaborés dans les laboratoires universitaires, et la transmission mimétique, reposant sur le seul compagnonnage professionnel dans le cadre d’une vision étroitement artisanale du métier d’enseignant. »
 
Il nous semble précisément que le CPC, dans l’accompagnement, peut être celui qui aide à rechercher en permanence l’articulation entre la pratique et sa conscientisation, son analyse, sa réflexion.